Préface de Sophie de Laverny
Pendant longtemps la Renaissance n'exista pas. Ce vaste mouvement culturel débutant au XIVe siècle en Italie et inventant une nouvelle vision de l'homme et de l'univers, doit sa reconnaissance à un certain Jules Michelet, historien romantique du XIXe siècle. En « tuant le Moyen Age », ce savant renommé a fait émerger la Renaissance, « parti des libres penseurs » prônant le renouveau d'une civilisation fondée sur la Nature.
Était-ce la découverte de données historiques nouvelles qui lui permirent de la mettre en exergue ? Comme l'explique l'historien Lucien Febvre dans son livre intitulé Michelet et la Renaissance (1992), Jules Michelet n'a pas découvert cette notion dans les archives qu'il dépouillait, mais c'est plutôt en lui-même qu'il en a senti le désir. Ce sont ses épreuves personnelles et la situation politique de son temps qui l'ont inspiré pour donner vie à ce concept historique. Il semble que ce terme de « renaissance » qui commençait une humble carrière soit tout simplement devenu le symbole d'une époque parce que Michelet portait en lui une très forte exigence de renouveau. Cela n'a rien d'étonnant chez, un historien qui a toujours mêlé sa vie intime, ses pensées personnelles à ses travaux historiques. Mais loin d'y voir un défaut, il faut plutôt le concevoir comme une méthode. S'il arrive à synthétiser tous les faits épars qu'il récolte, c'est parce qu'il revit intérieurement l'histoire en question.
En tous cas, si l'historien doit donner à du passé mort depuis longtemps un peu de sa vie à lui, Michelet le fit peut-être un peu plus intensément que les autres. Ses écrits en portent le témoignage : « L'Histoire est une violente chimie morale où mes passions
individuelles tournent en généralités, où mes généralités deviennent passions, où mes peuples se font moi, où mon moi retourne animerles peuples. Ils s'adressent à moi pour que je les fasse vivre ».
On comprend bien le message de Michèle! : l'historien est le fils de ses œuvres. L'Histoire ne serait-elle pas moins fascinante si elle ne combinait pas l'approfondissement de soi et la découverte des autres ?
Pour faire renaître la France, Michèle! attendait une rencontre, un choc, une étincelle. Après en avoir fini, non sans difficulté, avec un Louis XI qu'il jugeait prudent, calculateur, sans grandeur et générosité, à l'image de Louis-Philippe, il descendit impatiemment le cours de son histoire pour arriver à Charles VIII.
Il attendait d'être réveillé de sa torpeur et le voilà plongé dans les guerres d'Italie. Il se mit en marche ; il suivit la colonne. Et du heurt des fantassins, il vit jaillir une étincelle, puis une flamme, puis la colonne de feu qu'on appela Renaissance. Elle embrasa la France, puis toute l'Europe : « Un événement immense s'était accompli. Le monde était changé. Pas un État européen, même des plus immobiles, qui ne se trouvât lancé dans un mouvement tout nouveau ». La Renaissance était née. Négligeant toutes les
relations franco-italiennes des siècles passés, Michelet la faisait ainsi jaillir de ces guerres d'Italie, du choc entre la France de Charles VIII et l'Italie des Borgia, et ceci sur les décombres du Moyen Age. Ce fut donc plein de verve et d'allant, que Michelet
s'attaqua un peu plus tard au monde de François Ier, apothéose de la Renaissance, le premier Valois étant considéré par ses contemporains comme le père du renouveau artistique en France.
En outre, le XVIe siècle vit aussi la naissance de la Réforme, cette autre révolution chère au cœur de l'historien écrivain. Il paraissait donc important défaire partager au lecteur curieux l'enthousiasme de Michelet pour ce temps et son intérêt pour un souverain dont l'image de Roi-Chevalier a traversé le temps. Tout commença le soir du premier janvier 1514, dans le palais des Tournelles.
On entendit s'exclamer les membres de la cour du roi Louis XII : « Le roi est mort ! Vive le roi ! » Vingt ans et quatre mois... Aux yeux des contemporains, mais aussi à ceux de Michelet, l'accession au trône de François d'Angoulême, en l'année 1515, c'est d'abord le triomphe de la jeunesse porté par l'amour exclusif de deux femmes ; sa mère,
l'ambitieuse Louise de Savoie et sa sœur, la douce et passionnée, Marguerite d'Angoulême. Le rôle de la femme est essentiel pour Michelet, car c 'est elle qui tire toutes les ficelles dans l'ombre, elle qui est à l'origine de la vie comme de tous les bouleversements naturels ou politiques. La femme, dans l'esprit de cet historien très moderne pour son époque, est détentrice d'un pouvoir secret qui lui permet d'inventer la destinée des hommes qu'elle aime. La mère et la sœur du monarque furent pour François Ier ses anges-gardiens, ses protectrices, ses alliées. Jamais elles ne l'abandonnèrent et le poussèrent coûte que coûte à se dépasser même si cela ne correspondait pas toujours à ses propres désirs.
Ainsi, dès son avènement, et peut-être même avant, Louise de Savoie encouragea son fils à rêver de l'Italie. Pour continuer la politique de ses prédécesseurs, effacer l'échec de Louis XII, reprendre le duché de Milan, et, pourquoi pas, le royaume de Naples. Pour affermir l'influence française dans la péninsule et châtier l'insolence des Suisses. Pour attacher à son nom la gloire d'une victoire, lui qu'on avait écarté des expéditions précédentes. Et peut-être aussi pour connaître à son tour l'émerveillement de la descente vers les pays du soleil, vers cette terre où, depuis trois quarts de siècle, les splendeurs de l'Antiquité semblaient revivre.
Les fêtes du sacre étaient à peine terminées que François préparait déjà son « voyaige d'Italie ». La fougue du jeune prince était indéniable lorsqu'il affirmait aux Italiens : « Je veux vaincre ou périr ! ». C'était le temps des succès avec en couronnement, le célèbre triomphe de Marignan, à l'automne 1515. C'était aussi la victoire d'une France forte et unie contre « la brutalité des mercenaires suisses », « les vols de l'empereur » du Saint-Empire germanique et « les perfidies espagnoles ». Nous avons tous en mémoire les rythmes que Clément Jannequin a inventés pour orner les paroles anonymes de la Chanson de Marignan. A coup d'harmonies imitatives, il évoque la bataille, encourage les « bons compagnons » à suivre le roi, à distribuer horions, coups d'épée, à « croiser les bâtons ». Et la chanson de s'achever sur un long cri de triomphe, sans cesse repris par le chœur :
« Victoire, victoire, au noble Roy François,
Victoire au gentil de Valois !
Victoire au noble Roy François ! »
Mais il n'est de vraie victoire, en dehors des chansons, que bien exploitée. François Ier avait alors l'Europe à ses pieds. Il était le « Messie promis, attendu qui pouvait ce qu'il voulait ».
( Extrait de la préface du tome 1 )
Sophie de Laverny
Docteur en Histoire
de l'Université Paris- Sorbonne.
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