VIE DE K'ONG FOU TSEU
PRÉSENTATION DU COMMENTATEUR
Ce Maître très vénérable, né vers 551 avant l'ère actuelle, mort vers 480, ne finira de surprendre le lecteur par sa très haute moralité qui s'apparente quelquefois à celle des sages moralistes de l'Antiquité, bien que sa religiosité ne se manifestât surtout qu'envers ce qu'il appelait « le Ciel » et envers les Mânes des morts. Malgré l'étonnement qu'un lecteur moderne éprouve en constatant qu'un tel Maître, immense dans ses vertus, sa logique et sa culture, pouvait être si scrupuleux pour des sacrifices aux esprits des ancêtres, aux esprits des monts, des rivières et des eaux ; K'ong Fou Tseu n'en demeure pas moins l'un des plus grands philosophes de l'humanité par son enseignement de la morale, de la civilité et pour les conseils pertinents aux dirigeants des peuples. Le Maître, natif du royaume de Lou, était le fils de Chou Leang Ho, ou Tchou Liang Hi, de la famille des Tchong Ni. Sa famille vivait depuis trois générations dans un des villages du petit royaume de Lou.
De nos jours, ce lieu fait partie du Chan Tong. Son père, capitaine très connu, disait qu'il descendait, par sa généalogie, d'un Prince de Song, sous la dynastie des Tcheou, et qu'il serait apparenté à ce noble Prince, laissant entendre qu'il était descendant des rois de la dynastie des In.
Il épousa en premières noces une des trois filles de la famille Leu qui lui donna neuf filles. Puis, il épousa une dame de second rang dont il eut un fils : Meng Pi, né boîteux. Enfin, il épousa une autre demoiselle, la plus jeune des trois -filles de la fami lle len. Elle se nommait : len-Cheu et était surnommée Tcheng TsaL
Le surnom du fils;, le futur Maître, a été donné par sa mère. Elle alla prier sur le mont G'ni Kiou pour supplier le Ciel de lui accorder un fils exceptionnel en Sagesse. La légende raconte qu'un animal fabuleux, la « licorne », apparu à sa mère, fit sortir de sa gueule un petit livre merveilleux, dont la reliure était ornée de diamants. Dans ce livre était écrit qu'un enfant devait naître, qu'il aiderait l'Empire et qu'il serait « Roi sans Royaume ». La mère aurait attaché cet animal avec des liens de soie, mais la licorne réussit à se détacher et disparut.
La nuit de sa naissance apparurent des dragons autour de la maison; cinq vieillards survinrent dans la cour et du Ciel, une voix proclama : « Le Ciel accorde un enfant parfaitement sage sur la prière de la mère ! » Cela lui étant accordé, elle donna à son enfant le nom de ce mont : Kiou. Et son nom complet, selon les us des anciens Chinois, est K'ong Kiou Tseu Tchong Ni. Son diminutif habituel est K'ong Tseu.
Ainsi vint au monde dans la jolie petite ville de Koue Li, le fils du Ciel : Kiou, de la famille des Tchong Ni. Pour si légendaire qu'il soit dans sa première version, ce récit est très significatif de l'importance et de la renommée laissée par le grand Maître. Marié à dix-neuf ans, K'ong Fou Tseu entra dans l'administration de l'État de Lou. Petit fonctionnaire au titre de « Surveillant des graines et greniers », il parvint au poste de « Intendant des pâturages ». Il occupait une grande partie de son temps à méditer, à étudier, à enseigner, alors qu'il n'avait que vingt-deux ans.
A cinquante ans, il fut nommé Gouverneur de la ville de Tchong Tchou. Ensuite, le roi de Lou lui demanda d'appliquer son enseignement à l'ensemble de l'Etat. En l'an 496, il devint Juge Suprême de cet Etat de Lou, charge qu'il remplit avec efficacité. Dans une assemblée célèbre, celle de Ki A Lou, il fit conclure un traité avec le grand et puissant royaume de Tsi, royaume du Nord et ancien ennemi de Lou. Le roi de Lou, lui ayant par la suite refusé son appui total, à cause de l'intégrité du Maître, ce dernier, en philosophe sans compromis, se démit de toutes ses charges. C'est alors que, pendant près de quatorze années, il voyagea seul dans des régions périlleuses et sauvages où il connut des avatars et des attaques de brigands, qu'il prit de bon gré, avec un humour particulier. Ce n'est qu'au bout de ce temps, empli de l'expérience des choses bien vécues et de ses souvenirs d'aventures, qu'il retourna dans son bon et beau pays de Lou. Il avait soixante-sept ans et ce fut comme le renouvellement de sa période de vie la plus remarquable.
Son œuvre, appréciée des plus grands philosophes du Monde contemporain, «est demeurée l'expression morale, le véritable diamant de la Chine Eternelle, par sa richesse littéraire et philosophique très grande et précieuse. Son enseignement dans la culture, dans l'éducation, les mœurs et surtout dans la moralité civique, fut diffusé après sa mort par ses disciples dans un langage simple, clair et précis.
L'esprit moral et civique de l'œuvre est si remarquable qu'il n'y aurait aucune peine à l'adopter pour l'éducation de n'importe quelle Nation, quelle qu'en soit la pensée politique, car ce serait d'un grand effet pour enseigner leurs devoirs aux responsables des peuples et de le diffuser parmi les jeunes du pays pour redonner à l'éducation la place que doit avoir la famille dans la société et, que l'exemple doit d'abord venir des parents. Egalement le Maître montre comment on peut instaurer la paix et l'harmonie en soi et autour de soi dans la société pour instaurer la paix, la sagesse et le bonheur.
L'ŒUVRE DU MAITRE
Dans son œuvre on voit comment, à une époque aussi reculée, mis à part la grandiose culture biblique du peuple d'Israël et les écrits de la Grèce des moralistes et des philosophes antiques, il y avait un maître, un penseur chinois, d'une haute élévation morale, que Princes, Rois et Ministres consultaient, écoutaient et qui souvent mettaient en pratique ses conseils. C'est grâce à sa doctrine que la Chine a pu connaître des Empereurs et des Savants qui méritèrent le titre de Sage Parfait.
Ce qui surprendra aussi le lecteur averti, c'est que la plupart des peuples d'alors ne pratiquaient qu'une morale relative, aux mœurs libres et polythéistes favorisées par des tyrans cyniques et dissolus. Cela dans leur seul intérêt ! Quelle que soit la grandeur de leur civilisation ou de leurs monuments, les civilisations étaient souvent édifiées sur l'esclavage physique et moral, soit par la loi du plus fort ou du plus riche, soit par le mensonge ou la peur qu'ils inspiraient. Il a légué de précieux documents historiques à la postérité, sous le titre de : Tchou Ein Tzi, Annales du Printemps et de l'Automne. Il a publié de son vivant d'anciennes chansons du folklore chinois. Mais l'essentiel de son enseignement est contenu dans ce que nous avons nommé : « Les Quatre Piliers de la Sagesse », textes qui furent propagés dans tout l'Empire. On lui attribua à tort le Chi King, Livre des versets ou des poèmes, le Cheu King, Livre d'Histoire, le Yi King, Livre de Divination et les textes des Rituels du Yi Li et le Li Ki. Seuls le Tchouen Ts'ieou, Chroniques de Lou et un ouvrage sur la Musique, disparu depuis, paraissent être de lui. Les modernes ne lui attribuent
aucune œuvre écrite directe, mais ils savent que ses disciples ont transmis parfaitement une grande partie de son enseignement.
A notre avis, les jugements et les remarques sur les textes et les personnages qui formèrent le « Louen Yu », ouvrage disparu mais reconstitué par les Sages, plus de cinq cents ans après la mort du Maître, sont les plus caractéristiques de son œuvre. Ce sont pour la plupart des aphorismes clairs, des réponses nettes. Le livre intitulé Fen Tchang Hia Leang P'ien est composé en deux parties que nous intitulons: le Livre de l'Enseignement et le Livre de l'Éducation.
Le Maître, attaché fortement à la perfection intérieure, base de la paix sociale, à l'art de gouverner, à la moralité civique, a pourtant peu laissé de ses écrits. Selon la pratique des Anciens, son enseignement
était surtout oral. Les ouvrages furent écrits par ses grands disciples sous son influence directe. Ses réponses, rapportées par eux, ont un style rarement doctrinal, mais le plus souvent droit et profond, parce
que donnant à penser et à réfléchir. Très plaisant, il laisse apparaître quelquefois un humour subtil et même un sentiment poétique et musical élevé. Les ouvrages des grands philosophes sont souvent trop verbeux et aux termes scientifiques d'une lecture difficile. Les réponses du Maître sont directes et claires ; elles ne craignent pas d'aborder, en même temps que la philosophie, les sujets les plus poétiques : un oiseau qui passe, le son d'une musique, le maintien délicat d'une fiancée...
Une partie très importante de son héritage spirituel a été perdue.
Quel serait le trésor littéraire de la Chine si on pouvait la retrouver !
Comment la plus grande partie des documents et manuscrits chinois ont-ils disparu ?
L'Empereur Tche Hoang Ti, en 213 avant l'ère, bien après la mort de K'ong Tseu, prit la terrible et odieuse décision, en tyran absolu, de donner l'ordre « d'enterrer vivant » tous les sages et les lettrés et de brûler tous leurs écrits. Ce fut pourtant lui qui décida de construire la « Grande Muraille ». Peut-être la fit-il construire au prix des souffrances de dizaines de milliers d'esclaves. Il pensait être à l'abri de toutes les
invasions, mais il n'en fut rien. Hélas ! disparurent, vraiment et pour toujours, la plupart des textes classiques de tous les antiques Sages et poètes de la Chine. Ce fut une perte presque aussi irréparable pour
l'Orient, en raison du nombre des manuscrits brûlés, que l'incendie de la célèbre bibliothèque d'Alexandrie en Egypte, pour l'Occident.
Heureusement, certains manuscrits furent retrouvés, sortes de très fines planchettes de bambou, reliées avec de longues lanières de peau.
Ces manuscrits étaient enfouis en des tombeaux ou cachés dans les ruines et les1 murailles. Les assauts du temps et des intempéries en rendirent la plupart irréparables et illisibles. Mais le Ciel. en hommage à ce grand et modeste Sage, permit d'en retrouver une partie suffisante pour établir l'essentiel des textes de la doctrine de K'ong Tseu. Ce qui resta constitue l'ensemble actuel de l'École de K'ong Fou Tseu. Le tout fut remanié par les Maîtres indiqués par Tchou Hi. Lui-même explique dans sa préface qu'il a écrit les phrases manquantes du chapitre V du Tai Hio, parvenu à la postérité seulement muni de deux phrases.
Bien qu'on ait fait de son héritage spirituel une religion, alors que rien dans l'écriture du Maître ne puisse laisser penser à un tel but, les disciples de K'ong Tseu n'eurent durant des siècles aucune prétention
métaphysique, mis à part le Ciel qui était pour le lettré Chinois l'emplacement mystérieux d'une volonté qui dépasse l'homme. En quelque sorte c'était le LIEU de DIEU, les textes n'étaient pas religieux et jamais le Maître ne prétendit être le messie de quiconque ou le prophète inspiré d'une religion. Sa valeur, son génie n'en sont diminués en rien. Lui-même indique dans le Chang Liun iou qu'il espère ne pas manquer aux devoirs qu'il demande lui-même à ses élèves. Ce n'est que plus tard, après son plus fidèle commentateur Tchou Hi (XIIe siècle, alors que l'enseignement du Maître K'ong Tseu date du Ve siècle avant l'ère actuelle) que fut créée une philosophie religieuse basée sur le Yi King Livre des mutations. Une influence certaine du Taoïsme et du Bouddhisme fut exercée. Cela malgré la dénonciation de ces doctrines par Tchou Hi lui-même dans sa préface à la GRANDE ÉTUDE ou TA' HIO que le lecteur pourra lire dans cette édition avec un grand intérêt. Le célèbre préfacier chinois dit sans embarras que le Tao Tssé de Lao Tseu et les doctrines du Bouddha, appelée Fo chez les Chinois, ne sont que des doctrines manquant de « solidité, à la certitude prétentieuse, aux articles obscurs et rapportés avec hypocrisie ».
Nous en laissons la responsabilité au fameux Maître du XIIe siècle.
Quoi qu'il en soit les textes que nous avons l'honneur de publier sont faciles de lecture, clairs et simples, mais profonds par le nouvel aspect que le grand Maître Chinois apporte aux gouvernements des États :la perfection morale, la profondeur spirituelle et l'affection entre les hommes, depuis l'Empereur jusqu'au moindre des chinois. Souvent les thèmes des discussions, très pittoresques, parlent surtout du folklore
chinois, de poésie et de musique. Notre édition a retenu les trois livres fondamentaux que nous avons intitulés à la manière chinoise : "LesQuatre Piliers de la Sagesse " et qui sont :
" TA' HIO ou la Grande Étude,
TCHOUNG YOUNG ou l'Invariable Milieu.
Ces deux premiers livres, les plus importants en textes de base,sont issus du Li Ki, Livre des Rites.
FEN TCHANG HIA LEANG P'IEN
qui se présente toujours en deux livres, en raison de l'importance des textes : le Chang Liun iou et le Hia Liun iou. Ces textes sont des entretiens et des discussions d'école. Nous les avons intitulés : l'un le Livre de l'Enseignement et l'autre le Livre de l'Éducation. Le Maître expose ses principes ou répond aux questions de ses disciples et à celles des princes et hauts magistrats de son époque.
L'oeuvre du grand Maître ne semblerait pas complète sans le Meng Tseu, du nom d'un disciple très postérieur Mong Tze ou encore Meng Tzeu (latinisé en Monceu). Nous n'avons pas édité cet ouvrage, car c'est une œuvre plus tardive, très intéressante, mais aussi un assemblage de divers commentaires et pensées de maîtres et de disciples, dont nous avons le principal aperçu dans le Chang Liun iou et le Hia Liun iou, les textes des « Entretiens » et celui des « Questions et Réponses ». Enfin le Meng Tseu à lui seul est aussi important que toute l'édition des quatre ouvrages que nous apportons ici, à l'appréciation des bibliophiles et des amateurs d'Art.
Mis à l'écart de l'Enseignement traditionnel après la Révolution de 1912 et supprimés des manuels scolaires, ces Quatre Livres sont la base de toute étude, de tout enseignement classique chinois. Nous
espérons que par notre modeste contribution, les grands dirigeants de la Nouvelle Chine mettront ce Maître chinois à l'honneur, en raison de son importance pour l'homme et pour le monde !
RAYONNEMENT DU MAITRE
Parmi les plus assidus des disciples de son temps, près de trois mille, seize d'entre eux devinrent comme des fils, ses héritiers spirituels et ses intimes. Sans eux et ceux qui recherchèrent et découvrirent le restant des manuscrits parvenus à la postérité, le plus grand ouvrage littéraire de la Chine, par ses conséquences éducatives, ne serait jamais parvenu jusqu'à nous. C'est un véritable traité de bonnes mœurs, de folklore chinois si vivant que, durant de nombreux siècles, des lettrés, des éducateurs, des personnages importants tels que des Ministres, des Princes et des Rois en firent leur lecture et leur livre sacré. Nous lirons au cours des pages, quelque chose de nouveau, d'étonnant qui est l'ancienne, la légendaire et prodigieuse Chine. Nous verrons revivre, un des plus grands Sages de l'humanité. Assis modestement au milieu de sa multitude d'élèves, le Maître dispensait son enseignement aussi à l'aise, serein et sans complexes, devant les Rois et les Princes, que devant le plus humble de ses élèves.
Son expérience, sa psychologie, sa vivacité d'esprit, sa morale et sa politique ont apporté à la Chine, non seulement un art de vivre, mais aussi ont facilité l'accès des anciens Sages, dont le savoir était perdu en
raison de la difficulté de lecture. Il fut le plus savant et le plus qualifié pour le maintien des traditions chinoises, pour l'éducation et les bonnes mœurs qu'il put répandre et maintenir grâce à ses disciples. Ainsi la Chine devint un Empire exemplaire pour tous les autres peuples : exemple de culture, de profonde sagesse, de générosité. Les documents de l'histoire, depuis Marco Polo et autres grands voyageurs intrépides, nous ont prouvé, qu'à certaines époques, l'accueil des Empereurs et des Princes de la Chine était exceptionnel. Écrivains ou trafiquants, nobles ou aventuriers à la recherche de la fortune et des merveilles du Monde ancien, hommes courageux dont les manuscrits ont permis de connaître et de mieux comprendre la totalité du monde habité.
Sous la dynastie des Han, son enseignement, sa philosophie sereine ont été instaurés comme doctrine d'Etat, au IIe siècle. Chaque enseignant, chaque fonctionnaire, ou personnage de valeur, pour tenir un poste officiel, devait passer par l'Ecole où la doctrine de K'ong Fou Tseu était enseignée. Les mandarins chinois, si célèbres dans les contes et l'histoire, en ont été l'expression vivante jusqu'à la grande guerre de 1914-1918.
Il a apporté au monde un message si beau qu'il en a laissé des traces profondes et durables. Nous verrons, à la fin du Livre de l'Education au Chapitre IX, intitulé : «Le Maître et les bons disciples» comment ses
disciples lui ont témoigné leur admiration et suivaient avec amour sa doctrine. Il connaît depuis plus de vingt-quatre siècles la gloire et il fait encore de très nombreux disciples de nos jours. Cela prouve que
l'enseignement de ce Maître, malgré les siècles de recul, est encore valable pour inspirer tous les guides des peuples.
Son héritage spirituel, si particulier, a été mis en valeur par l'illustrateur Jean GRADASSI miniaturiste de génie, dont l'art graphique est magnifié par une palette de couleurs chatoyantes qui ravissent comme le feraient « plus de mille arcs-en-ciel ». L'oeuvre de K'ONG FOU TSEU est encore le texte de base très apprécié de beaucoup d'intellectuels, de savants, de personnalités en poste dans les diverses sphères dirigeantes des plus grands du Monde. Les Sages chinois ont appelé ce grand personnage : « Maître pour Dix mille générations ! » |