Venise pour la première fois
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Venise est un sujet dans le sujet. J'ai entrepris, il y a quatre ou cinq ans, une recherche sur l'opposition
« ouvert versus fermé ». Ce sujet s'inscrit aussi bien dans le temps que dans l'espace : Ce qui est ouvert aujourd'hui peut être fermé demain, et vice versa. C'est cette opposition qui va rompre une certaine symétrie, qui donnera du champ à l'esprit, qui laissera l'imagination vagabonde.

Je travaille pour cela la surface plan, qui comporte un minimum de lignes de fuite, de manière que l'œil n'aille pas se perdre vers un horizon lointain ou inaccessible, qu'au contraire il se heurte à la façade, à la surface, et qu'il s'y fixe.

Ceci n'empêchera pas les exceptions. Il peut y avoir des ciels dans mes photographies. Il faut se méfier des systèmes qui vous emprisonnent, qui ne vous laissent plus de liberté de penser, de vous exprimer.

Il y a peu de personnages dans mes photographies, peu d'acteurs. Je les laisse bouger, car je travaille en poses longues. J'intègre le paramètre temps dans mes images. Je ne souhaite pas que quiconque puisse se reconnaître sur ces photographies, par pudeur principalement. Chacun a droit à son image.

Naturellement, je ne me borne pas au seul sujet principal. Il y a d'autres sujets dans le sujet,  Il y a les tuyaux, les câbles, les descentes de gouttières, tout ce qui peut suggérer le vivant, les veines, les artères, les boyaux, les émonctoires. Mais rien n'est jamais systématisé. Il faut agir par touches, sereinement. Ici un thème dans le thème, ici un autre…

J'ai étudié la peinture de la Renaissance par de fréquentes visites au Louvre ou dans d'autres musées. Il y a, chez les peintres du seizième siècle, comme d'ailleurs chez ceux qui ont précédé cette époque, une façon particulière de séparer les plans. En fond, un paysage de l'époque, en premier plan, une scène d'une autre époque, une
Visitation de la Vierge par exemple, où le décor, habitation, palais, dans lequel évoluent les personnages mis en scène, ne s'accorde pas avec le décor du fond. La profondeur du décor est réduite, les lignes de fuite semblent avoir été tracées avec gaucherie. Il n'en est rien. Tout l'art de ces peintres est de rendre et présente et extérieure, dans un autre temps, la scène qu'ils représentent. Ils créent un dysfonctionnement, une rupture entre le fond et la scène présentée. Ils la font présente, puisqu'elle est là, et dans le même temps décalée.

Je tâche de représenter, dans mes photos, ces mêmes décalages, soit en repoussant toute la scène vers le fond, soit en procédant par plans successifs. J'utilise pour cela des objectifs à longue focale, qui écrasent la perspective, qui la modifie dans le sens que je souhaite.

Je travaille avec de la pellicule argentique habituelle. Venise offre une richesse toute particulière de vues. Chacun doit y trouver ce qu'il cherche.

La nuit, dans toutes les cultures, est celle des métamorphoses. C'est une rupture entre ce qui s'est passé la veille, et ce qui se passera le lendemain.
Il était une fois… c'est ainsi que débutent les contes, puis, un jour... Le conteur a posé les personnages, puis il les fait entrer dans l'action. Le jour se passe, et la nuit vient, nuit magique des transformations, des avatars. La petite fille du Chaperon rouge deviendra dans la nuit une jeune femme, ou restera fille, suivant qu'elle se fera, ou non, manger par le loup. Cendrillon ira au bal, la nuit, richement vêtue, mais la métamorphose engagée au soir tombant, des citrouilles en carrosses, de hardes en somptueux vêtements, perdra tous ses effets à minuit sonné, sauf pour la pantoufle de vair -- il faut toujours laisser ouvert un pan du voile sur le merveilleux --.

Les pellicules photographiques en couleur ne sont pas faites pour les poses longues. Elles vont réagir à ces poses en créant des dominantes qui n'existent pas dans la réalité. J'utilise ce défaut dans mes photographies de Venise la nuit. Pour suggérer ces métamorphoses conduites par la nuit, je pousse mes poses de trente secondes à une minute. Ainsi les couleurs sont-elles transformées. Dans la photographie du marché aux poissons, on retrouvera et ces couleurs métamorphosées -- les colonnes ont des ombres bleutées ou mauves, le fond qui ferme la photographie, une maison vénitienne, est bleu outremer, il y a donc des transformations mais partielles, elles ne concernent pas toute l'image --, et ces plans successifs -- bacs à poissons, poissonniers... Un poissonnier a bougé pendant la pose, ce qui était ce que je recherchais, et sa silhouette se détache sur un fond vert, une bâche en plastique, métamorphosée elle aussi. C'est une ébauche de personnage. On pourrait y voir une esquisse de Vinci, de Rembrandt ou de Turner... Un autre personnage a laissé l'empreinte de son ciré rouge derrière une colonne --, et ces câbles qui pendent, dérisoires, un fouillis, bref, cette photographie est un condensé des sujets que j'aborde, l'ouvert et le fermé bien sûr, l'espace et le temps mêlés, le fixe et le mobile, mais aussi, bien sûr, Venise…

J'utilise le procédé de la photographie, et les possibilités actuelles données par l'informatique. Je passe mes négatifs au scanner, et je récupère l'image sur écran, sur un écran d'ordinateur. J'use du scanner comme j'usais de l'agrandisseur. Je parfais le cadrage, j'étalonne les couleurs en fonction de la sortie que je désire, puis je passe au nettoyage de l'image. S'il y a un sac en plastique qui flotte à la surface de l'eau, un tag, quelque chose qui me trouble, je l'enlève. Je repeins entièrement l'endroit où il était placé. J'enlève les poussières, je corrige les petits défauts des négatifs. Je passe une demi heure au moins sur chaque photographie, une demi heure à deux heures. Jusqu'à ce que l'image soit parfaite, du moins à mon sens. Puis je passe au tirage proprement dit, avec une imprimante à jets d'encre, et sur beau papier, un Vélin d'Arches. Ne s'agissant pas de papier photographique, le rendu est très différent. Il s'apparente à l'aquarelle. J'aime à laisser le spectateur sur cette indécision. Photographie ? Peinture ? Les deux mêlés. La photographie est soustractive, la peinture additive. La procédé qui j'utilise procède de l'addition et non de la soustraction. L'encre est ajoutée. C'est la raison pour laquelle le spectateur peut rester perplexe.

J'ai organisé cette exposition sur quatre thèmes, avec sept photographies par thème. J'ai ajouté une vingt-neuvième photographie, en noir et blanc, la seule, afin de rompre -- toujours la même optique -- avec ce qui s'apparenterait trop à un système.
Les sujets sont la nuit, dont j'ai déjà parlé, la pierre et l'eau, les reflets, l'extérieur vs l'intérieur.

J'organise ces images de telle manière que l'une puisse répondre à l'autre, à l'intérieur de la section, mais aussi qu'elles soient laissées en rapport les unes avec les autres, afin que cela constitue un ensemble cohérent.

Une photographie se doit d'être libre, j'entends libre de toute arrière pensée. Le spectateur doit pouvoir y trouver une place, et être plus qu'un spectateur, un acteur. Libre dans le sens où cette photographie l'implique, il doit s'y impliquer. Il s'y rend, il s'y fond. Elle doit être la sienne, et ne plus m'appartenir. Elle doit être sémantiquement vide, afin que ce soit lui qui lui donne un sens, celui qu'il voudra. Je ne photographie pas
ma femme à Venise, mes enfants à Venise, le bébé de ma cousine, mon grand oncle… Je ne suis pas présent dans l'image, ni moi ni, par quelque voie détournée, ma famille ou mon chien. Personne n'est présent. Seul le spectateur doit l'être, il doit être l'autre, l'absent sans cesse renouvelé par la présence d'un autre présent, permutable à l'envi, à l'excès. Ainsi chacun peut voir Venise non pas avec mes yeux, mais avec les siens. Chacun doit pouvoir voir Venise pour la première fois…

Les reflets. Si l'eau reflète, les carreaux des fenêtres reflètent aussi. Ces sont de nouvelles images dans l'image. Lorsque l'eau reflète une bâtisse, une porte ou un cageot, le spectateur voit l'image et son reflet, tout naturellement. Mais lorsque les fenêtres reflètent des palais, d'autres fenêtres, des toits, ces palais, ces fenêtres ou ces toits ne sont pas dans le champ du spectateur. Ils sont derrière lui. Ainsi de ces deux plans fondus en un seul naît l'espace, le plan du visible et celui de l'invisible, car nous n'avons pas d'yeux derrière la tête. Ces deux espaces créent une rupture, et le spectateur se retrouve entre les deux,
naturellement. Dans l'une de ces photos j'ai supprimé la scène pour ne garder que le reflet dans l'eau, reflet que j'ai mis dans le bon sens, c'est à dire à l'envers, un envers qui permet de lire l'endroit sans montrer l'envers. L'univers de la pensée contingente se trouve ici totalement bousculé. Il faut prendre des libertés pour la rendre.

Cette exposition n'est pas un catalogue sur Venise. D'ailleurs un catalogue comporterait plus de vingt neuf photographies…Le risque, avec plus de photographies, tiendrait dans la redondance, l'attrait du sensationnel, du beau, la Venise du touriste… Photographier pour photographier ne m'intéresse pas. Je limite mon discours aux sujets que j'aborde. Chaque photographie se doit d'être la matrice de quelque chose -- je n'aime pas ce mot, mais, à défaut…-- qui le dépasse tout en l'englobant.

Mes photographies sont une manière de dire ou de penser. Ce qui est représenté sur l'image est le support de la pensée, d'un pensée libre, non contrainte. Les contraintes que je m'impose ne sont que formelles. Elles ne doivent en aucun cas empiéter sur la liberté de chacun.

En photographiant, en montrant ces images, en les vendant, j'affirme cette liberté.







Patrice Bérard



Photographe, peintre, compositeur, poète, cinéaste, Patrice BÉRARD a exploré depuis près de quarante ans toutes les formes d'expression artistique.

« Aujourd'hui je suis photographe, dit-il. Hier je peignais, avant-hier je composais; depuis toujours j'écris, je dessine, je compose ou je photographie (…). Je veux boire le temps qui passe aux sources de mes sens, et parcourir le labyrinthe en empruntant chaque couloir ».

« 
Je suis un photographe qui peint ; Bérard est un peintre qui photographie ».
      Hugues Claude PISSARRO, artiste peintre

« 
Rare est la photographie dans laquelle j'inscris l'art de Patrice Bérard. Car pour instaurer la durée, il y faut l'œil du peintre, une sorte de regard à retardement s'opposant à la machine immédiate que le photographe a entre les mains qui voudrait restituer tout, tout de suite. C'est la photographie de l'infusion d'un instant distinct de l'instantané qui se dilue tel un film du « même » renouvelant chaque seconde de pellicule par la persistance d'une seule image dont Bérard nous fait les témoins distanciés ».
      Max FULLENBAUM, critique d'art

« Je compose mes œuvres photographiques comme je compose ma musique et comme j'écris. Le rythme impose le cadre et c'est dans ce cadre que s'insert l'accident de la note, de l'image ou du mot (…). Mes photographies se veulent vides d'intentions. Elles se regardent ou s'écoutent ».



Patrice BÉRARD


Filmographie : RAPA NUI, Nombril du Monde (film sur l'Île de Pâques)
- Musée de l'Homme à Paris, ICROM à Rome, UNESCO à Paris, Musées Royaux de Belgique, Radio Télévision Suisse Romande, RTBF, Planète…


Expositions de peintures et dessins : Maison des Beaux-Arts à Paris, Hôtel La Fuvelle à Malbuisson (Doubs), Academia Raymond Duncan à Paris.


Expositions de photographies : Tea Folies à Paris, Photo-expo la Bastille,
Galerie Jean-Paul Martin à Bourron-Marlotte (77),
Galerie Le Minotaure à Paris.


Collections privées : France, U.S.A., Suède, Japon
Patrice BÉRARD est né à Paris en 1945.

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