Article de Max Fullembaum
paru dans « Univers des Arts » mars-avril 1999


Il y a deux sortes de photographies, celles qui captent l'instant (les amoureux de Doisneau), celles qui installent en nous une durée.
L'une retient la rapidité et l'autre la lenteur, l'une nous vide tandis que l'autre nous emplit. La photographie de l'instant fonctionne à la manière de la photo-choc  dont parlait Roland Barthes dans ses Mythologies. Une somme d'éléments sensibles se présentent en même temps sans nous laisser la possibilité de réfléchir. La photo de l'instant nous envahit, nous la subissons sans la vivre, nous fusionnons instantanément avec elle.
Plus rare est la photographie de la durée dans laquelle j'inscris l'art de Patrice Bérard. Car pour instaurer la durée il y faut l'œil du peintre, une sorte de regard à retardement s'opposant à la machine immédiate que le photographe a entre ses   mains   qui voudrait restituer tout, tout de suite.
La photographie de la durée est une photographie contrariée dans son fonctionnement.
C'est la photographie de l'infusion d'un instant - instant distinct de l'instantané - qui se dilue lentement tel un film du "même" renouvelant chaque seconde de pellicule par la persistance d'une seule image dont Bérard nous fait les témoins distanciés.
De cette opposition entre l'artiste et sa machine naît une vision objective.
On pourra le remarquer à propos de cette exposition de photos de Venise. Tout le monde a vu Venise et les photographies traditionnelles circulent par milliers. Mais Patrice Bérard a peut-être lu le journal de Gombrowicz(l) et il a regardé Venise pour la première fois.
En regardant Venise pour la première fois, Bérard en capte la somptueuse précarité.
Dans   la   poissonnerie de plein air par exemple, les personnages sont des ombres fugitives   en   voie d'extinction qui ne se distinguent des produits  de  la pêche que par leur station verticale et la dilution de leurs couleurs tandis que les   majestueux piliers ont une assise cernée par le tournoiement et la maigreur d'un feu-follet de câbles.
L'ombre   portée atténue l'éclat des façades quand le miroir de l'eau ne trouve à refléter qu'une dérisoire caisse en bois. Des portes ouvragées »  sont mangées à la racine, les fenêtres renvoient    une image floue de palais, un drap noir recouvre des gondoles endormies...    L'homme est partout présent par son absence   même.
Tout l'art de Patrice Bérard me semble relever de cette suggestion, de cette invite adressée au spectateur d'être,  par ricochet, la plaque   sensible d'une vision de ce qui s'impressionne sans vouloir être vu.
Venise est ainsi restituée, restituée à elle-même   dans toute son épaisseur d'atmosphère et de mystère par une élongation de l'oubli, un étirement du temps présent bien au-delà du point de fuite. Toutes ces voies d'eau semblent attendre leur heure. Elles minent l'honorabilité de façades en état futur d'achèvement sur un sol erode  que l'homme inlassablement se doit de maintenir.
L'aura crépusculaire de Venise est cette attente, une photo du temps créatrice d'un théâtre irréel où surnage ce qui se découvre sur scène quand la photographie de Bérard en soulève le voile.                         


Max Fullenbaum

(1) « .. Voici une fresque de Giotto. Je ne peux lui consacrer trop de temps mais j'ai
confiance, je suis sûr que quelqu'un d'autre l'a contemplée, l'a examinée... C'est alors qu'une idée fatale m'a surpris : et si cet autre n'existait pas ? Si chacun de nous se libérait sur un autre de la tache de regarder et si nous nous transmettions de main en main ce trésor jusqu'à l'anéantir

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